jeudi 13 janvier 2011

L'HOMME DANS LE NOIR

Nous sommes quasiment mi-janvier. Un gros chantier vient de se terminer ; les dernières touches ont été faites avant hier : suppression de la porte entre la cuisine et la salle de séjour, suppression d'un pan de mur pour élargir le passage entre les deux pièces, remise au goût du jour de la cuisine "Poggenpoll" qui, bien que datant de 30 ans cette année, n'a quasiment pris aucune ride.
Avec l'aide de la "Reine du Pinceau", appelée également selon la circonstance "Madame Pipobec" (lorsqu'elle se promène une Vogue aux lèvres), l'espace a repris un coup de jeune !
(N'oublions pas qu'elle a été récompensée en 1988 avec l'attribution du "Pinceau d'Or" de l'année !)
Aussi, fier du résultat, me voilà cloué par les éléments extérieurs tout au fond de mon canapé : "Il pleut, il pleut Bergère, rentre tes blancs moutons...", je dirais plutôt : "Il drache, il drache Cyclo, sors pas ton biau biclo..." !
Rien donc d'extraordinaire à vous raconter mais, vous n'allez pas vous en sortir comme ça : je suis allé quérir mes petits recueils de poèmes et je m'en "va" vous en choisir un. Mais, comme chacun sait, le poète est plus souvent inspiré quand il a le vague à l'âme qu'en période de liesse, et les alexandrins que je vais soumettre à votre lecture ne sont pas très gais. J'espère, nez en moins (!), que vous les apprécierez.

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L'homme dans le noir.

Il ne sait qu'à tâtons où le mènent ses pas.
Il avance, hésitant, mais sûr de son chemin
Car son bâton connaît ce que son oeil ne voit ;
Son pied sait de la rue le plus petit recoin.

Les gens le voient passer : "Un aveugle, dit-on".
Un aveugle en effet, le plus souvent bien seul
Quand, dessous son bras libre il ne tient violon,
Gagne pain agréable quand les passants en veulent.

Sur un petit pliant, le voilà qu'il s'assit
Près d'un grand magasin : son endroit, bien à lui.
Depuis bien des années il vient jouer séant
Quelques chansons anciennes ou des succès d'antan.

Quand, du creux de l'oreille, il entend sa sébile
Sonner de quelque sou...ou d'un bouton trompeur
La chute salutaire, il continue tranquille
Pensant qu'il mangera peut-être tout-à-l'heure.

Les bruits que ses oreilles transforment en images
Dessinent-ils en lui un monde beau à voir ?
Ou alors un tableau si rempli de la rage
Des hommes se tuant qu'il préfère son noir ?

Il n'expliquera pas ce que sont ses pensées.
Il remercie l'offrant, ignore l'insouciant.
De morceau en morceau il attend son décès.
Qui sait, sera-t-il mort, plus heureux que vivant...



J.Ch. DERLIQUE
Photos : Mandiant guitariste aveugle en Equateur : Nyima
L'aveugle et le paralytique de Jean Turcan,
sculpture exposée en Arles, photo de Dani de Nantes